Habib Koité : "Je suis l'artiste africain qui tourne le plus dans le monde"

Publié le par Omar Diouf et Oumar N'Diaye




Le musicien Habib Koïté est sans doute le plus Sénégalais des artistes maliens. Né à Thiès où son père était cheminot, cet habitant de Kayes, première ville malienne sur le tronçon ferroviaire Dakar-Bamako, était l’une des vedettes de la première édition du Festival du Sahel à Lompoul (près de Louga), du 20 au 21 novembre 2009. L’événement l’a inspiré car Habib Koïté veut organiser une manifestation similaire près du Fort de la ville historique de Médine, au Mali.

 Pourquoi avez-vous répondu favorablement à la première édition du Festival du Sahel ? « Venir à Lompoul pour le festival du Sahel représente beaucoup de choses. D’abord, je suis Malien et nous venons nous produire au Sénégal. Je suis très fortement lié à ce pays pour être né à Thiès. Je suis de Kayes, la première ville malienne proche de la frontière sénégalaise. Beaucoup de choses me lient au Sénégal. Un tel festival m’intéresse. C’est tout un plaisir de venir ici, de rencontrer des musiciens sénégalais, un public chaleureux. Ce festival est assez atypique dans son caractère, avec son site original. Je ne savais pas qu’il y avait un désert comme ça avec des dunes de sable blanc comme dans le désert malien. Le Mali est un vaste territoire et, dans sa diversité géographique, nous avons un grand désert avec des dunes de sable blanc où des festivals sont organisés. Je suis surpris de trouver à Lompoul un super endroit avec des dunes de sables. C’est formidable et je suis heureux de découvrir ce site ».

 Ce n’est pas la première fois que vous jouez au Sénégal. Vous vous êtes produit à l’Institut français Léopold Sédar Senghor de Dakar. Comment trouvez-vous le public sénégalais ?
« J’ai joué il y a à peu près un an et demi au Sénégal. C’était superbe, avec une ambiance de famille. C’était plein, les gens étaient assis jusque par terre devant la scène et cela avait créé une certaine proximité. On pouvait même lire sur leur visage. C’était un accueil chaleureux, très coloré. Il y avait des Européens, des Sénégalais. Après nous avons dédicacé notre Cd aux mélomanes qui étaient très heureux. C’était un moment de folie. J’avais fait de nombreux concerts pendant cette tournée, et mon groupe et moi avions joué dans différents endroits comme Kaolack et Ziguinchor. Nous avions même continué jusqu’à Serekunda, en Gambie ».

 Quelle est la place de Habib Koïté dans la musique malienne si on fait référence à des figures comme Salif Keita ou feu Ali Farka Touré ? « Je suis quelqu’un qui évolue petit à petit. Il n’est jamais trop tard. Je fais de la musique depuis très longtemps. J’ai eu à faire des travaux sur la musique du terroir dans sa diversité. Tous les autres font de la musique du terroir, moi je fais cette musique dans sa diversité en chantant dans plusieurs langues du pays. J’essaie de garder dans mon interprétation l’identité de la musique de chaque région pour que les gens puissent la reconnaître. C’est un travail que j’ai eu à faire pendant plusieurs années et cela a mis du temps pour que le public puisse me fixer. Quand on écoute certaines de mes compositions, on pense parfois qu’elles ne sont pas de moi. Depuis quelques années, les gens ont compris que Habib Koïté fait de la musique du Mali qui touche toutes les sonorités de ce pays. Je suis reconnu comme un des meilleurs musiciens maliens qui exporte cette musique partout dans le monde, en Amérique, en Asie, en Europe et surtout en Afrique. Salif est un aîné de même que feu Ali Farka. Et je pense que je ressemble plus à Salif sur le plan musical ».

Vous chantez dans combien de langues ?
« Je chante un peu en français, en anglais et en espagnol, en ce qui concerne les langues non africaines. Pour le reste, je m’exprime dans les langues nationales du Mali et de certains pays d’Afrique de l’Ouest : bambara, sonraï, peul, khassonké, un peu de bobo et du wolof ». Par rapport à cette exportation de la musique malienne, parlez-nous de votre carrière internationale... « Ma carrière au plan international a démarré en 1991. Depuis, entre 1996 et 2005, je suis l’artiste africain qui fait le plus de tournées dans le monde. Et ce sont les statistiques des spécialistes de la musique sur la scène européenne et américaine qui le disent. Je voyage beaucoup aussi en Australie, dans de petits villages, de même que dans les grandes villes. J’ai beaucoup joué au Japon, en Alaska, dans des contrées des Etats-Unis, en Amérique latine, Cuba, Brésil, aux confins de l’Argentine. Des coins où seuls les musiciens ont souvent l’occasion d’aller. Je ne passe que quatre à cinq mois dans l’année au Mali ».

Quand vous êtes au Mali, vous faites quoi généralement ?
« Je m’occupe de ma famille. J’ai une femme et des enfants. Je ne suis pas souvent présent et quand je suis là-bas, j’essaie de m’occuper d’eux avec un certain entretien, comme une entreprise (rires). La famille est une entreprise qu’il faut gérer et qui a besoin d’un certain capital... ».

Depuis que vous avez eu l’opportunité, il y a longtemps, d’enregistrer deux morceaux pour la première fois en France, êtes-vous satisfait de votre production musicale ?
« Il faut dire que je n’ai pas pondu des albums comme on dit. Je suis tombé sur des producteurs qui étaient beaucoup plus pour l’artiste et son inspiration. Je n’étais pas dans un système de grosses structures qui te demandent ou t’exigent un album chaque une ou chaque deux ans. J’y suis toujours allé au feeling. Mon dernier album, je l’ai sorti six ans après l’avant-dernier. C’est une carrière qui s’est développée petit à petit, grâce au public. Il ne faut pas oublier que nous sommes des êtres humains et qu’il y a toujours quelqu’un qui vous ouvre une petite fenêtre, puis un autre vous ouvre une porte. Ainsi, de main en main, ma carrière a grandi jusqu’au festival Vox Pole en France qui m’a permis d’enregistrer deux chansons. Après, le concours Découvertes Rfi m’a ouvert d’autres portes, en 1993, avec un Prix Médias qui a permis à ma musique d’être diffusée dans de nombreuses radios partenaires de cette chaîne internationale française. A la suite de cela, j’ai connu un producteur belge, avec qui je suis toujours d’ailleurs, qui a accordé des licences à des compagnies américaines. Actuellement, ma carrière est gérée par des producteurs américains et européens qui me managent et me produisent dans le monde entier sauf au Mali »

. Par rapport à Kayes, au Mali en général, avez-vous des projets artistiques ?
« Par rapport à Kayes, je n’ai pour le moment que des idées. Rien ne s’est jamais concrétisé. Il est vrai qu’on m’appelle l’enfant de Kayes. Ces dix-sept dernières années, j’ai bourlingué comme pas possible à travers le monde. Je crois qu’un jour je dois me calmer un peu pour pouvoir faire des choses, car mes nombreuses tournées ne me permettent pas de réaliser des choses sur place dans mon pays. J’ai une idée dans la tête, c’est d’organiser un festival sur le site de Médine. Cette ville historique malienne, avec son Fort, était la plus riche de l’Afrique de l’Ouest dans les années 1940. Pendant la guerre, la France y avait gardé tout son or. Le Fort surplombe le fleuve avec un bras très large. Je souhaite, si les moyens me le permettent, y organiser un festival qui va englober le Fort, l
e fleuve et toute la ville ».

Publié dans Le Mali

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